Ce film est pour moi inséparable d’Intouchables, sorti en mai 2012, et que j’ai vu à très peu d’intervalle. Si Intouchables m’avait fait passer un bon moment, De rouille et d’os m’a quant à lui complètement transportée.
L’histoire
De rouille et d’os est un film de Jacques Audiard qui raconte l’histoire de Stéphanie (Marion Cotillard), dresseuse d’orques qui se retrouve amputée des deux jambes, suite à un accident lors d’un spectacle, et d’Ali (Mathias Schoenearts), sans travail et sans logement, subitement contraint de s’occuper d’un fils de cinq ans qu’il connaît à peine.
La rencontre des deux personnages a lieu à la sortie d’une boîte de nuit, alors que Stéphanie a toujours ses jambes.
Mais ce n’est que plus tard, au sortir d’une longue période de rééducation qu’elle rappellera Ali, alors que la jeune femme apprend à vivre avec son nouveau corps.
Le film suit alors la relation qui se crée entre eux, chacun ayant ses propres souffrances, qui les rapprochent tout en les éloignant.
Le personnage de Stéphanie
Le contraste qui s’opère dans la vie de Stéphanie est saisissant : entre sa vie avec ses amis, son copain et son travail avec les orques, et sa vie après l’accident, avec son fauteuil roulant. Pour moi, c’est de la souffrance à l’état pur.
Celle du moment où une vie prend un tournant que l’on n’avait pas anticipé, où le temps est comme en suspens, où l’on a l’impression de vivre en apnée.
Ce contraste m’est douloureux.
Quand on le vit soi-même, on ne le voit pas si bien et pourtant, il est bien là.
Dans cette chambre d’hôpital, où Stéphanie découvre qu’elle n’a plus de jambes et se met à hurler, sa solitude m’a explosée au visage.
Plus tard, Stéphanie essaie de cacher un scalpel pour tenter de se suicider.
Elle reste dans son fauteuil le regard vide.
Comme si tous ces moments étaient composés sur le même rythme, comme si elle était rentrée dans une dimension à elle, en dehors du monde.
Comment expliquer, avec des mots, ces expériences où, d’un seul coup, vous n’êtes plus vraiment là, même avec les gens que vous aimez ?
Les moments où vous êtes seule dans votre tête, où votre corps devient une prison qui enferme votre esprit ?.
Les étapes suivantes, la réappropriation de sa vie et de son nouveau corps, viennent mais ensuite.
Et la scène où Stéphanie trie ses habits et jette ceux qu’elle considère ne plus aller avec sa nouvelle condition m’a ramenée au jour où j’ai dû abandonner mes escarpins – et où j’en ai pleuré.
Le cheminement d’Ali
L’histoire d’Ali n’est pas plus gaie.
Il n’a pas de handicap physique, mais lui aussi se trouve pris dans une tornade.
Sam est son enfant, il a cinq ans, mais Ali le connaît à peine.
Et pourtant, il doit apprendre à vivre avec lui.
Il ne sait qu’une chose : il ne le laissera pas retourner avec sa mère qui mène une vie dissolue, plongée dans le monde la drogue.
Il ne sait pas être père.
Il n’a même pas de travail, pas de logement.
Sa sœur (qu’il rejoint dans le sud de la France où il rencontre Stéphanie) va l’aider ; mais il n’en reste pas moins seul dans un corps qu’il sculpte, qu’il utilise comme une arme, dans une vie où il ne sait pas trop où aller.
Sa vie et celle de Stéphanie vont se faire écho quand, suite à une erreur de jugement de sa part, il perd le soutien de sa sœur.
Alors il lâche tout : son fils, sa sœur, Stéphanie.
Il disparaît.
Il essaie de reconstruire quelque chose, de dompter son corps en devenant boxeur professionnel.
Puis, comme souvent, il lui faut toucher le fond du gouffre pour remonter.
Lorsque son fils tombe dans l’eau, sous la glace, Ali cesse de réfléchir.
Il n’est plus question de savoir être père ou non, mais simplement d’instinct et d’amour. Mon histoire semble plus proche de celle de Stéphanie et pourtant, je me retrouve aussi en lui.
Dans cette manière de faire le dos rond face aux coups durs, d’avancer coûte que coûte.
Une relation improbable et touchante
Il y a cette première rencontre en boîte de nuit où Ali est videur et où il donne son numéro à Stéphanie.
Puis surtout, il y a toutes celles qui ont lieu après l’accident de Stéphanie et où se crée une relation qui peut paraître un peu étrange.
Quand notre corps change du jour au lendemain, quand notre statut est modifié, la relation aux autres devient compliquée, pour eux et pour soi-même.
J’en ai voulu aux gens de prendre en compte mon handicap, de vouloir m’aider ; je les ai détestés de faire comme s’il n’existait pas, comme si rien n’avait changé.
Un Ali, je crois que j’en ai rêvé.
Juste quelqu’un qui me sorte de mes réflexions, de mes questionnements, qui agisse simplement, sans que j’ai à me demander pourquoi.
Il y a de la violence dans ces corps, comme s’ils n’étaient pas ce qu’on voulait, comme si les gens allaient d’une manière ou d’une autre les empêcher de prendre le contrôle.
J’ai longtemps plaisanté avec une amie sur le « ope», qui est le mot que Stéphanie envoie à Ali par SMS pour lui signifier qu’elle a envie de faire l’amour. Cela peut paraître un peu cru, mais quand le corps change, ces sensations-là sont aussi à redécouvrir.
Ce film est triste, il est dur, sans concessions. Il a mis des images sur des émotions que je n’arrivais pas à mettre en mots. Et même aujourd’hui, trois ans après, j’ai des difficultés à écrire cet article, à poser mes propres mots sur ces souffrances encore trop partagées.