Contrepoint de l’article où je vous parlais de tous les petits bonheurs qui accompagnent ma vie de personne handicapée, voici un autre aspect de cette vie. Il est un peu moins drôle, soyons francs, il est même nettement moins agréable mais il est là aussi !
La douleur
La douleur n’est pas forcément liée à mon handicap mais surtout à ma maladie.
Bien qu’il existe ce qu’on appelle des douleurs secondaires: elles viennent du fait par exemple, que circulant en fauteuil roulant, mes épaules et mes pouces (oui oui) sont très utilisés et ont du coup tendance à me faire connaître d’un peu trop près tendinites et autres petits désagréments.
Puis la douleur n’est pas réservée aux gens malades, ça se saurait!
Des douleurs, ils en existent des milliers ; ce site les catégorise très bien.
Ce qui est problématique, c’est quand une douleur devient chronique. Le premier médecin de la douleur que j’ai rencontré m’avait très bien expliquée que qu’elle qu’en soit l’origine, une douleur qui devient chronique est bien réelle et est enregistrée comme telle par notre cerveau.
La douleur on en a parlé des tas de fois, il existe des traités entiers expliquant comment les améliorer comment les vivre. Les blogs regorgent d’expériences personnelles.
Je ne vais pas vous faire une leçon pour apprendre à mieux les gérer ni vous en apprendre les mécanismes, je vais parler de moi et peut-être c’est vrai, ça ne vous servira à rien.
«J’ai plus mal que toi, non c’est moi, c’est pas vrai c’est moi »
Moui moui.
Je suis persuadée qu’aucune douleur ne se compare.
Vous avez déjà essayé de savoir si l’orteil écrasé contre le pied de la table vous avait fait plus mal que la main qui a malencontreusement rencontré à vive allure le placard fermé ?
Déjà c’est dur pour soi-même de juger ce qui nous fait le plus mal alors comparer la douleur entre les personnes, je ne vois même pas comment ce serait possible. Il n’y a rien de plus personnel qu’un ressenti, une douleur.
C’est sûrement la raison qui explique l‘existence des échelles de douleurs: on vous demande de noter votre douleur sur une échelle de 1 à 10. Et je déteste ça!
C’est tellement compliqué de lui donner une note tout en sachant qu’elle peut devenir pire. Et un petit chiffre me semble tellement réducteur quand je souffre. C’est pourtant la seule manière qu’ont les soignants pour la prendre en compte.
Souvent on me dit, « j’ai mal là mais ça n’a rien à voir avec toi ».
Alors pitié, pour vous et pour moi, arrêtez.
Ne sous-estimez pas ce que vous ressentez. Il n’y a que vous qui le sentez et ça a la même valeur que ce que mon corps me fait ressentir.
Ses conséquences
Je ne réagis pas mieux que vous : je pleure, je crie, je tape des pieds, je prends sur moi.
Et je ne peux pas dormir sur un lit de clou ou sortir un plat du four à mains nues en souriant à toutes dents.
La douleur me rend aigrie, agressive.
J’ai beau essayer de prendre sur moi, ça devient obsessionnel, elle prend toute la place, toutes mes pensées, elle est le petit diable qui plane au-dessus de toutes mes pensées.
Et des fois le petit diable gagne et je ne supporte plus rien, un geste gentil, un bisou peut faire sortir le monstre en moi.
La douleur isole. Et c’est là, que douleur se transforme en souffrance car elle n’a plus de début, de fin, de raisons, elle est juste une espèce de brouillard permanent.
Il n’y a plus de mots, on ne peut pas expliquer et par conséquent l’autre a du mal à comprendre.
Il y a plein de techniques pour aider à supporter ces douleurs.
Elles sont toutes efficaces … des fois.
On s’étonne que je parte en week-end ou que j’aille voir une compétition alors que je suis envahie par ce brouillard, que mes traits sont marqués par la douleur.
Je fuis juste le silence de ma douleur: elle ne me parle jamais, elle m’empêche d’entendre ce qui m’entoure, elle est d’un silence assourdissant.
Son côté impromptu
Je sais que si je m’obstine à marcher jusqu’à tomber par terre, ça va faire mal !
Mais là je me dis juste, « t’es bête quand même tu le savais».
Ce n’est pas la douleur la plus embêtante.
Celle que je trouve la plus dure c’est celle qui n’a pas de raisons, celle qui vient et repart quand elle veut.
« Le handicap est un luxe que je ne peux pas me permettre », (ça ce n’est pas de moi!)
La douleur c’est le château qu’on ne devrait jamais atteindre.
Malheureusement on l’atteint trop souvent et on ne sait pas vraiment ou il est localisé : il peut apparaître au détour d’un chemin de manière presque surnaturelle.
Des fois vous vous dites, cette fois je le sais j’y arrive à ce château, j’en aperçois les tours. Vous tournez au virage et pffiou il a disparu.
Puis des fois devant vous s’étend une immensité d’herbe et de vallon doux. Et puis derrière ce petit bout d’herbe si joli apparaît et grandit grandit ce château.
Que l’on veuille ou non ma douleur a du pouvoir. Elle peut me faire tomber, me faire pleurer, même me faire déprimer mais elle n’est pas moi, elle est juste une option que je n’ai pas choisie.
Si vous voulez un peu mieux comprendre pourquoi je parle de ça: maladie contre handicap.
Et si vous vous voulez en savoir plus sur la manière de comprendre une personne qui souffre: comprendre-une-personne-qui-souffre-de-douleurs-chroniques
Comment dire ? Tu as su mettre des mots sur ce parasite, et je me suis reconnue dans tes phrases. Merci.
Ce que tu dis me fais plaisir et merci de l’avoir écrit.
Ton texte m’évoque un petit ouvrage du philosophe Jean-Luc Nancy, « L’Intrus » (2000). Ce n’est pas tout à fait la même thématique, puisque J-L Nancy parle d’une greffe du coeur, mais je ressens en te lisant à quel point ta douleur est une intruse, un corps étranger dans ton corps à toi, une invitée surprise genre fée Carabosse… Quelque chose qui fait partie de toi mais que tu voudrais chasser à tout jamais. Au moins, les mots te permettent d’exorciser un peu, même si j’imagine sans mal que ce n’est qu’une maigre consolation. Courage !
Tu as tout à fait raison!